Comme promis, je balance mon texte. Le débat est ouvert
DO IT YOURSELF ! Oui, mais quoi et comment ?
Depuis quelques mois, suite à de nombreuses expériences, discussions, observations avec/dans/de/à propos de la scène Do It Yourself (DIY), je me dis qu’il serait temps d’essayer d’organiser mes idées et de les mettre à plat par écrit. Il est temps de se lancer. Vu que j’ai vocation à diffuser ce texte le plus largement possible, je vais peut être paraître des fois un peu pédagogique et simpliste sur certains points. Attention, ce texte n’a pas valeur de table de la loi mais veut simplement attirer l’attention sur quelques points qui me semblent importants.
Depuis plus de 12 ans, j’évolue dans plusieurs sphères de la scène musicale underground, principalement punk, hardcore et métal. Si j’y suis depuis si longtemps, ce n’est pas hasard mais parce que cet univers me plait, me parle, me fait vibrer. J’adore cette sensation d’appartenir à un univers particulier, fonctionnant sur ses propres codes et échelles de valeur, sans se soucier de la norme environnante. Ce qui me plait aussi, c’est cet appel à l’activisme, à la forte implication personnelle pour faire vivre cet univers. Sans les acteurs de l’ombre que sont les groupes, les labels, les médias, les organisateurs de concerts et bien sûr le public, l’underground (ou la scène, appelez ça comme vous voulez), cet univers ne pourrait survivre. Quelle différence avec le mainstream me direz-vous ? Sur la forme, il y en a finalement peu. Sur le fond, elle est énorme. Là où nous sommes dans l’ombre, les acteurs du mainstream brillent à la lumière ou du moins font tout pour y parvenir, à n’importe quel prix, surtout celui de la rentabilité et de la célébrité.
Mais tout n’est pas si manichéen. Les passerelles entre les deux univers sont nombreuses, plus ou moins fiables, de confiance ou au contraire fortement douteuses. L’underground : un tremplin vers les paillettes ? A méditer.
Avant de m’éparpiller encore plus, je vais me recentrer sur la scène punk hardcore dite Do It Yourself car c’est là où je me suis investi le plus et c’est celle que je connais le mieux.
A mon sens, il n’y a pas de cadre strict à la scène DIY si ce n’est appliquer ce précepte de base : Fais le toi-même !
Les groupes qui te plaisent ne jouent pas dans ta ville : organise-toi et organise des dates pour ces groupes !
Les médias spécialisés te semblent faire l’impasse sur de nombreux points inhérents à la musique que tu écoutes : chronique toi-même les disques, fais des interviews, écrit des articles et monte ton zine !
Musicalement c’est pas la panacée : monte ton groupe et joue la musique que tu veux entendre !
Ton groupe ne sera jamais dans le catalogue de tel ou tel label ou tu galères pour trouver quelqu’un qui sortira ton disque: monte ton label.
Tu ne trouve pas tes disques préférés chez ton disquaire / supermarché du disque local : monte toi-même ta distro et développe tes réseaux de distribution !
Je pourrais continuer ainsi pendant un petit moment mais je crois que le principe de base du DIY est cerné, du moins je l’espère.
Il est également facile de comprendre que ce qui motive une telle démarche, c’est avant tout la passion. Et de la passion, il en faut pour jouer à 1500km de chez soi devant 12 personnes, pour bosser des heures sur son groupe / label / distro / zine pour finalement aucune compensation financière mais juste le plaisir d’avoir accompli quelque chose, d’avoir apporté sa pierre à un édifice fragile et toujours en branle. Et ce plaisir compte plus que tout. Satisfaisons nos ego, gagnons notre quart d’heure de gloire, devenons le centre de notre univers l’espace de quelques secondes, tout en partageant ça avec les gens de notre cercle élu ! Ça ne changera pas la face du monde, soyons conscients de ça, mais ça donne un sens à nos vies. Et c’est déjà beaucoup dans un monde où finalement la passion passe derrière le confort matériel, où la fierté personnelle se mesure à la taille de son portefeuille et où finalement, à part grimper sur l’échelle sociale pour devenir le meilleur, on en oublie de devenir simplement meilleur et on oublie ce qui fait battre nos cœurs.
Une autre partie de ma vision du DIY est la participation de TOUS ses acteurs ! Et là, je vais me recentrer sur l’aspect concert et être un peu moins lyrique.
Un concert organisé dans une optique DIY, très souvent No Profit (voir même tout le temps) implique 3 groupes de participants :
1 – Les groupes
2 – Les organisateurs
3 – Le public
Si l’un de ces 3 groupes d’acteurs fait défaut, la sauce ne prend pas. Sans groupes, pas de concerts. Sans organisateurs, personne pour faire jouer les groupes donc pas de concerts. Sans public, personne pour payer (défrayer) les groupes et rembourser les frais d’organisations donc moins ou pas de concerts. Pour les 2 premiers acteurs, c’est pas difficile à comprendre. Pour la partie ‘‘public’’, je vais développer et révéler les coulisses ô combien peu glamours des circuits DIY.
L’organisation d’un concert coûte de l’argent. Oui, de l’argent, le mot est lancé ! Rhâââââ, infâme suppôt du capitalisme galopant, il l’a dit, il a prononcé le mot interdit : argent, pognon, monnaie, dollars, flouze, thune, etc.
Pourquoi un concert coûte de l’argent ? Ça paraît con comme question mais c’est important de faire la lumière sur ce point.
D’abord, les groupes. Un groupe, quand il se déplace, génère des frais : Essence, péage, location d’un van quand il n’a pas la chance d’avoir le sien, entretien du van quand il a le sien. Ce sont les frais de bases que n’importe quel groupe devrait être en droit de voir remboursés INTEGRALEMENT. Malheureusement, c’est peu souvent le cas. Si le groupe vient d’un autre continent, on peut rajouter à ces frais les billets d’avion, la location d’un backline (amplis, batterie, etc) et souvent une commission pour le tourneur (de l’ordre de 10% par date). On a beau être dans le DIY, on ne peut pas faire tout soi-même. Chacun a ses limites, chacun a ses compétences particulières.
Ce que je viens de décrire, ce sont les conditions souvent minimales de tournée (on peut toujours tourner en voiture et se faire prêter du matériel sur place mais on atteint vite ses limites là aussi). Je n’ai pas parlé de frais d’ingé son, de roadcrew, tourbus, etc. Disons que ce genre de frais ne concerne pas la scène DIY, ou alors très rarement. Mais rien que pour la location d’un van et éventuellement d’un backline et des billets d’avion, le budget d’un groupe s’élève facilement à plus de 200€ par jours, pour ne pas dire 300 et plus. Et les frais de route ne sont pas forcément inclus. Pour exemple, Cursed, lors de leur tournée européenne du début 2005, avait pour plus de 300€ de frais de location de van & backline. Ça n’incluait pas l’essence et je ne sais pas si les billets d’avion étaient pris en compte. Je ne crois pas. Dans une logique capitaliste implacable, plus un groupe tourne longtemps, moins ses frais sont élevés à la journée. Mais tout le monde n’est pas en mesure de partir 2 mois d’affilés sur la route.
Ensuite, si on veut être pointilleux, on peut parler des cordes de guitares et autres baguettes à acheter sur la route quand ce ne sont pas les lampes de l’ampli qui ont cramé, de la bouffe du midi, très souvent réduite aux sandwiches triangles des stations d’autoroutes. Et non, tout le monde n’a pas l’habileté nécessaire pour les voler. On peut rajouter aussi l’amende syndicale du contrôle douanier (qui a oublié de l’herbe dans ses poches ?) et autres contraventions potentielles diverses et variées.
Je vais encore pousser le bouchon encore plus loin concernant les frais. Tous les groupes ne sont pas constitués de jeunes kids encore logés et nourris par papa et maman. Certains sont vieux (comprendre plus de 22 ans), travaillent et ont même des gosses. Et quand ces anciens jouent dans des groupes amenés à tourner de plus en plus mais pas assez pour en vivre (ou tout simplement sans l’envie d’en vivre) et qu’il faut cumuler travail et congés avec tournées et vacances en famille, des choix doivent se faire. Comme parfois devoir prendre des congés sans solde pour pouvoir tourner et profiter de sa famille. Pendant ce temps là, les factures de la vie courante tombent toujours. Si d’aventure, le cachet du concert du soir pouvait couvrir une partie de l’argent non gagné en congé sans soldes, ce serait vraiment génial.
Sauf que dans la réalité des choses, l’immense majorité des groupes en tournée perdent énormément d’argent. Dernier exemple en date : lors de la dernière tournée européenne d’Overmars (sur quinze jours), le groupe a perdu plus de 200€ rien que sur l’essence et les péages. Le coût total de l’essence et des péages n’atteint même pas 800€. Faites vous-même le calcul du cachet moyen d’Overmars par soir. Il a fallu compléter cette perte sur les ventes de disques et de merchandising, qui ont également servi à payer une partie des frais engagés (600€) quant à l’entretien du camion, même pas récupérés sur les cachets. Est-ce normal ? Pour moi, non !
Au tour des organisateurs. Leur rôle est important, véritable charnière entre les groupes et le public. Leurs frais sont multiples. Même s’ils sont fortement compressibles et que certains d’entre eux peuvent être réglés par un coup de bricolage bien senti, ils impliquent les frais de promo (photocopies des affiches, achat de la colle, flyers), les frais de repas, catering (bouffe / boissons servant à faire patienter les groupes jusqu’au repas) et petit-déjeuner, l’éventuelle location de la salle et de la sono. Ces frais peuvent augmenter considérablement en fonction de la salle et prendre en compte des frais de sécurité, de permanent technique, d’ingé son et ingé lights. Et n’oublions pas les cachets des groupes, qui la plupart du temps ne sont pas fixes et dépendent des entrées. Pas de budget type concernant l’organisation. Ça peut varier de quelques dizaines d’euros (hors groupes) à plusieurs milliers. La place du billet d’entrée varie également en fonction des frais engagés et des rentrées d’argent nécessaires pour que ni l’organisateur, ni le groupe ne se plante. Pourquoi le groupe ? Car dans le réseau DIY, les groupes jouent souvent aux entrées ou s’adaptent en fonction de l’affluence du soir, surtout s’il a une toute petite notoriété. Finalement très capitaliste comme principe puisque le groupe se retrouve payé en fonction du nombre de personnes attirées. Taux de rentabilité d’un groupe ? J’arrête le cynisme de mauvais aloi mais ça mérite qu’on y réfléchisse un petit peu.
Et le public alors ? A part payer, qu’est-ce qu’il fait ? Finalement il est juste là pour consommer et permettre aux groupes et organiseurs de satisfaire leurs ego de scenesters branchouilles, non ? Et bien non ! Le public paye, certes, mais il doit savoir pourquoi il paye. Il paye, non pas pour consommer un spectacle mais pour PARTICIPER à la réalisation d’une vie alternative. L’argent dépensé est ici une PARTICIPATION AUX FRAIS, que ce soit bien compris. Personne ne met ici d’argent dans sa poche, ni les groupes, ni les organisateurs. Et s’il y a bénéfice (alors tant mieux), celui-ci est automatiquement investi dans un autre concert, ou compense des pertes déjà très (trop) nombreuses. Si le public ne comprend pas qu’il ne paye pas un spectacle mais participe à une vie alternative, il ne peut pas comprendre les motivations des groupes et organisateurs qui ont choisi ce mode de fonctionnement. Sans le public et sa participation, la scène alternative, l’underground, ne peut pas vivre.
Or, combien de fois ai-je entendu des gens se plaindre parce qu’un concert coûtait plus de 5€ en utilisant le sacro-saint argument du DIY. « Putain, 6€ c’est abusé ! C’est pas DIY ! ». Et ce sont ces mêmes personnes qui vont après dépenser près ces mêmes 6€ au bar pendant la soirée. Mais là ça ne pose pas de problème. Un peu comme ces concerts à l’entrée en prix-libre (l’idée est merveilleuse mais malheureusement tout le monde ne joue pas le jeu) mais où les bières sont au prix fixe. Mmouais… y a quelque chose qui cloche. Mais je m’égare.
Bref, tout ça pour dire que le public doit prendre conscience que payer sa place à ce genre de concert est un acte militant et politique, et qu’il doit également prendre conscience de tous les frais qu’impliquent l’organisation de ce genre d’évènement ou des tournées. Par ailleurs, certains organisateurs communiquent à la fin des soirées leur budget. Je pense que n’importe qui du public est en droit de demander et savoir ce que coûte la soirée à laquelle il participe.
Autre point que j’aimerais aborder à travers cet essai : le rapport à l’argent de la scène DIY. Cette scène est effectivement basée sur un rapport non mercantile, très souvent farouchement anti-bizness et anticapitaliste. Des fois tellement anticapitaliste que ses acteurs oublient qu’ils ont des frais et qu’ils occultent le moindre rapport à l’argent. Vous savez, ces mêmes frais que ceux énoncés plus hauts.
Et malheureusement, il y a quelques dérives et effets pervers. Sans vouloir tirer à boulets rouges sur certains organisateurs, j’ai malheureusement trop souvent vu ou entendu des témoignages de situations où les soirées étaient préparées à l’arrache, sans aucune promo, sans aucune qualité d’accueil, où il y a cet espèce de raisonnement plus ou moins inconscient « de toute façon, c’est un concert DIY, le groupe prendra ce qu’il y a, c’est comme ça que ça marche ». Oui, effectivement, ça marche souvent comme ça mais est-ce que ça justifie de mal faire les choses ? Est-ce que ça justifie de zapper l’affichage et de juste poster un message sur ses 2 ou 3 message boards préférées ? Est-ce que ça justifie de préparer une pauvre salade de pâtes en hiver pour des groupes qui se tapent entre 300 et 600km en moyenne par jour ? Est-ce que ça justifie d’héberger les groupes dans des conditions vraiment limites au niveau de l’hygiène ? Attention, qu’on ne se méprenne pas, je parle d’une façon générale et ne vise personne ou certains types de lieux en particuliers. Mais c’est juste un constat.
Que les gens souhaitent s’investir, c’est très bien. Mais qu’ils le fassent bien, qu’ils pensent qu’ils impliquent des tiers et surtout qu’ils fassent preuve d’abnégation. Organiser des concerts de ce type, ça ne sert pas à épaissir son CV et à se dire « cool, j’ai fait jouer tel groupe, je suis hype ». Non, organiser des concerts DIY, c’est participer activement à la dynamique de cette scène. On a beau dire que c’est l’intention qui compte, je reste persuadé que quand on se lance dans ce genre d’entreprise, il vaut mieux savoir y mettre les formes.
Je reviens au rapport à l’argent. En ce moment je me questionne beaucoup sur le prix des places des concerts. En discutant avec quelques anciens (des gens de 30 ans !), nous nous sommes rendus compte que le prix des places n’avaient pas bougé depuis 10 ans alors que tout le reste a augmenté et pas qu’un peu : essence, péages, frais de location, bouffe, etc. Et parallèlement, je n’ai pas l’impression que le public ait augmenté lui aussi. On va vers un crash, là, non ? A moins qu’on n’y soit déjà.
On va poser un petit problème, comme à l’école.
« Paul & Julie sont deux jeunes sympathiques punks qui décident de se lancer dans l’organisation de concerts DIY. Ils décident de faire jouer un groupe en tournée (X) et de rajouter un groupe qui habite à 150km de leur ville (Y) plus un groupe local (Z). En sachant que X a besoin d’environ 250€ par date pour ne pas perdre d’argent sur sa tournée, que Y a besoin d’environ 100€ pour payer son trajet, que X jouera le jeu et prendra seulement ce qu’il y a s’il y a quelque chose, en sachant que Paul et Julie ne paient pas la salle mais doivent louer une petite sono 50€ et qu’ils ont environ 70€ de frais de bouffe, catering, petit-déj et affichage, en sachant qu’ils souhaitent mettre l’entrée à 5€ et qu’ils ne tirent aucun bénéfice du bar et en sachant qu’en moyenne ce genre de concert attire une cinquantaine de personne (donnée fluctuante), Paul et Julie vont-ils s’en sortir financièrement ? ».
Aller, on pose ça en chiffre :
Coût de la soirée : 250+100+50+70 = 470€
Rentrées prévisionnelles : 50x5 = 250€
Nombre de personnes nécessaires pour amortir le concert = 470/5 = 94
Ça ne coïncide pas, il y a quelque chose qui cloche et il manque 44 personne ou 220€, au choix.
Quelles solutions apporter sans que ni les groupes, ni les organisateurs ne soient de leur poche (ou pas trop) ?
- Compresser les coûts (c’est déjà bien compressé à mon avis) ?
- Augmenter légèrement le prix de la participation aux frais ?
- Changer la manière d’aborder la promo ?
Personnellement, je pencherais pour le prix de la p.a.f mais sans garantir que ce soit la solution miracle. C’est quelque chose dont on discute pas mal sur Lyon et sur des message-boards en ce moment. On commence à en avoir marre de se planter violemment ou de mal payer les groupes malgré des campagnes d’affichage répétées et une présence sur le web assez conséquente. Evidemment, chaque ville, chaque organisateur, fait en fonction des possibilités locales, de ce que lui permettent les lieux investis et disponibles. Les données ne sont pas les mêmes à Rennes, Lyon, Reims, Paris, Bordeaux, Caen… Là où certains pourront bénéficier du bar, il n’y a pas forcément raison d’augmenter le prix d’entrée… quoique…
Ça aussi, ça me tarabuste, éthiquement parlant. Alors qu’on souhaite tous un public participatif, conscient de pourquoi il paye, doit-on accepter sans complexes qu’une soirée soit sauvée par le débit de boissons ? Je suis conscient que c’est une chance très appréciable que d’avoir le bar mais quand même… Ceci n’engage que ma propre sensibilité.
Même s’il est déjà très long (trop ?), ce texte est très certainement incomplet mais pose, je l’espère, les bases d’un débat qui peut se révéler fort intéressant et constructif pour ce qui nous unit. Ce débat a déjà commencé ici et là, maintenez le vivace et toujours d’actualité. Je suis persuadé que cette scène restera vivante et intéressante par la remise en question permanente et constructive de ces principes et de ses actions. Rien ne doit rester figé. Rien n’est parfait.
Xavier
NOSPAMcetacean@tiscali.fr